Dormance bactérienne
La dormance microbienne en tant que modèle de réponse naturelle au changement de conditions environnementales
Au sein des habitats naturels, les microorganismes doivent faire face à divers stress. Afin de résister à des conditions environnementales limitant la croissance active, les microorganismes ont élaboré diverses stratégies les plongeant dans un état viable mais de non-croissance. Cet état transitoire de sommeil permet de surmonter le stress et reprendre une croissance une fois ce dernier retombé. La dormance implique souvent la formation d'un morphotype spécialisé, désigné ici sous le nom de cellule dormante (CD) (également connue sous le nom de cellule sporale ou analogue à une spore).
L’étude des CD dans des modèles sélectionnés génétiquement traitables a permis de comprendre les bases génétiques du développement des CD et a ensuite permis la caractérisation biochimique du mécanisme sous-jacent. Cependant, les études sur les CD ne sont pas seulement importantes pour comprendre les mécanismes de différenciation et leur régulation en réponse à des signaux environnementaux, mais il a également été récemment démontré qu'elles permettaient de comprendre quand et comment le point de rupture entre la bactérie monoderme (classiquement appelée Gram positif) et le diderme (Bactéries à Gram négatif) sont apparues au cours de l'évolution. Des études antérieures affirmaient que les CD étaient limitées à quelques clades bactériens. Cependant, étant donné la diversité des écosystèmes microbiens, il existe une chance importante que des voies alternatives basées sur différents gènes et générant des CD non caractérisées restent à découvrir. En effet, nous avons récemment trouvé des preuves de CD en forme de spores dans cinq souches appartenant à des clades bactériens supplémentaires. Dans deux de ces clades, la production de CD en forme de spores (à phase brillante) repose sur de nouvelles voies de différenciation et des gènes sous-jacents. Les cinq souches ont toutes été collectées sur des sites géothermiques, des habitats hautement sélectifs en termes de capacité à former des CD.
Nous utiliserons ces nouvelles souches pour explorer la dormance de trois manières complémentaires. Dans un premier temps, nous explorerons les CD formés par le genre Kurthia, qui possède un programme unique d’enveloppe cellulaire et de morphogenèse qui fournit de nouvelles informations sur l’évolution des bactéries. Deuxièmement, nous fournirons une description complète des cellules ressemblant à des spores et des mécanismes de dormance dans les trois souches non caractérisées. Plus précisément, nous utiliserons la cryotomographie électronique pour décrire la morphologie de la cellule spécialisée. Nous générerons également des données génomiques, transcriptomiques et protéomiques lors de l’entrée et de la sortie du programme de développement de la CD afin d’obtenir des indices sur les déterminants génétiques sous-jacents à la base de ce processus. Troisièmement, en utilisant ces marqueurs génétiques de CD, nous identifierons de nouvelles espèces formant des CD afin de démontrer l’importance de cette stratégie de survie écologique. La plupart des méthodes de détection actuellement utilisées en écologie moléculaire étant limitées, nous allons développer une suite de méthodes novatrices pour détecter et étudier la diversité des CD dans les communautés naturelles. Nous étendrons l'application du séquençage métagénomique sur mesure afin d'identifier les espèces les plus abondantes formant des spores dans l'environnement. L'objectif à long terme est de développer une méthode de séquençage génomique de cellules ressemblant à des spores uniques afin de dévoiler des espèces rares formant des CD dans des communautés naturelles.
Notre planète devrait subir de plus en plus d'épisodes de stress environnementaux. Etant donné le rôle primordial des bactéries pour le fonctionnement des écosystèmes, étudier la dormance microbienne en tant que modèle de réponse naturelle aux conditions environnementales changeantes pourrait constituer un tremplin pour améliorer notre capacité à prévoir la réponse de la biosphère au changement climatique.